Un logique nommé Joe, de Murray Leinster

 

leinster_un-logique-nommé-joe« Au XIXème siècle, l’homme était obligé de se servir d’une machine à écrire, de la radio, du téléphone, du téléscripteur, des journaux, des bibliothèques publiques, des encyclopédies, des fichiers, des annuaires, plus les services de messageries, d’avocats-conseils, de chimistes, de médecins, de diététiciens, d’archivistes, de secrétaires… tout cela pour noter ce dont il voulait se souvenir et pour lui dire ce que d’autres personnes avaient noté et qu’il désirait savoir ; pour transmettre ce qu’il disait à quelqu’un d’autre et pour lui transmettre ce qu’ils répondaient. Tout ce qu’il nous faut, à nous, ce sont les logiques. Lorsque nous voulons savoir, ou voir, ou entendre quelque chose, lorsque nous désirons parler à quelqu’un, nous pianotons sur les touches d’un logique. Coupez les logiques et tout va fiche le camp. »

Un logique nommé Joe, premier né de la collection Dyschroniques, est un livre étonnant. Parce qu’écrit en 1946, à l’époque où le nombre d’ordinateur dans le monde se comptait sur le doigt d’une main, il fait preuve d’une stupéfiante clairvoyance dans la description d’un réseau informatique mondial qui ressemble fort à l’Internet des années 2010, avec son accès libre aussi bien aux encyclopédies qu’à la pornographie, et même ses étalages accidentels de vie privée. Il brosse avec une pertinence remarquable une société devenue dépendante dans chaque moment de sa  vie des logiques, ordinateurs interconnectés au réseau mondial, autrement dit, ni plus ni moins que notre société.

C’est dans cette société idyllique que va naître Joe, un logique déficient, qui doté d’une conscience propre, va considérablement améliorer le réseau en proposant de répondre le plus efficacement possible et sans discernement aux questions que se posent les utilisateurs du réseau, enseignant les règles du crime parfait aux maris jaloux, le B.A.BA du cambriolage aux nécessiteux ou la danse de fertilité des tribus cannibales à de jeunes enfants.

Moins que les « dérives d’un réseau informatique mondial » promis par l’éditeur, c’est donc plutôt ici le spectre de l’avènement d’une singularité bienveillante, intelligence artificielle trop efficace pour notre propre bien et surtout dépourvue de toute notion d’éthique qu’agite Murray Leinster. La liste de films proposés par l’éditeur à la fin du livre, parmi lesquels on trouve 2001, l’odyssée de l’espace  et Terminator, va aussi dans ce sens.

Un logique nommé Joe peine à dire quoique ce soit de pertinent ou de nouveau sur le monde d’aujourd’hui, mais on peut difficilement en vouloir à l’auteur, au regard de la date de rédaction de la nouvelle. On retiendra surtout l’aspect visionnaire du livre dans description avec soixante-dix ans d’avance de notre quotidien. Un intérêt donc plutôt patrimonial, qui fait de cette Dyschronique une petite curiosité délicieusement surannée.

Murray LEINSTER, Un logique nommé Joe, Le Passager Clandestin (2013), 4,00 €, 978-2-916952-82-6

Également disponible dans l’anthologie Demain les puces en Présence du futur.

Snow Crash, de Neal Stephenson

Snow Crash - Le Samourai Virtuel

Il est des livres qui ont à souffrir de leur traduction dans la langue de Molière. Citons notamment Le guide du voyageur galactique de Douglas Adams qui, outre l’histoire ses différents titres français qui constitue une saga à elle toute seule [1], eut à souffrir de la traduction de Jean Bonnefoy (par ailleurs grand traducteur de SF devant l’éternel) qui dans l’impossibilité de traduire certains jeux de mots (ce qui est bien compréhensible) crut bon de rajouter quelques bons mots de son cru assez douteux. De la même façon, on attend pour la fin de l’année chez Lunes d’Encres (Denoël) une nouvelle traduction du mythique Fondation d’Asimov, Gilles Dumay ayant pris conscience de la disparition d’environ 20% du texte original dans la traduction française.
Pour le roman de Neal Stephenson, c’est le titre qui a morflé. Comment Snow Crash a-t-il pu devenir Le Samouraï virtuel ? On y trouve bien un type qui manie des sabres japonais, mais sans qu’il soit jamais question des anciens guerriers traditionnels du Pays du Soleil Levant. On y parle bien de quelque chose qui pourrait s’approcher de la réalité virtuelle, mais l’auteur explique lui-même dans la postface qu’il a volontairement évité ce terme pour en choisir un autre plus proche de sa conception de la chose. On ne peut donc que se sentir navré devant une politique éditoriale aussi éloignée du véritable intérêt du livre. C’est à se demander comment ce livre pourrait bien atteindre le public susceptible de s’y intéresser. Heureusement que mon blog est là pour ça !

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Ecoloville, de Jean-Yves Duhoo

Ecoloville

Une fois n’est pas coutume, je ne vais pas aujourd’hui raconter ma vie dans l’habituelle petite présentation du livre introduisant la critique. Je laisserai la parole à l’auteur d’Ecoloville qui nous explique, dans un petit avertissement au lecteur: « Ecoloville est un reportage d’anticipation, non un roman de science-fiction. Les innovations technologiques et écologiques existent (presque) toutes à l’état de projet ou à l’échelle locale ». Tout est dit !

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Watchmen, par Alan Moore

Watchmen

Edit mars 2009 : Voir mon avis sur le film Watchmen

Je ne saurais dire où j’ai entendu parler pour la première fois de ce comics de l’auteur anglais Alan Moore, mais c’était il y a un bon moment. Certainement sur l’un de ces forums consacrés à la S.F. où l’on chuchotait son nom comme celui d’un chef-d’oeuvre, une référence, un livre sacré, avec un rien de crainte respectueuse dans la voix. Assez fréquemment pour m’intriguer, moi qui ne connaissais ni ne m’intéressais particulièrement à ce genre particulier de bande dessinée qu’est le comics. A la Fnac, j’ai jeté un coup d’oeil au phénomène, mais le graphisme un peu vieillot m’a rebuté. Et puis, lorsque j’ai demandé à un collègue fan de BD s’il avait entendu parler de Watchmen, si c’était bien, il a répondu « Bien, les Watchmen ? » et il a fondu en larmes. Le genre de réaction qui vous fait reconsidérer vos pires a priori. Et là… La claque.

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Transparences, de Ayerdhal

Il est sans aucun doute hasardeux d’essayer d’imaginer la personnalité et le physique d’un écrivain à partir de ses livres. Mais le contraire ? En octobre dernier, à l’occasion de la 25ème heure du livre du Mans [1], j’ai eu l’honneur de passer, en tant que bénévole sur un stand, un après-midi en compagnie de quelques auteurs de S.F., dont Ayerdhal. C’est un petit homme, les cheveux longs noués en queue de cheval, sympathique, chalereux, un peu franchouillard, légèrement anarchiste, déconneur quand il raconte qu’il vaut mieux, dans les soirées mondaines, dire qu’on est plombier plutôt qu’auteur de S.F. Quel genre de livres pouvait écrire un type comme ça ? Et bien, pas du tout. Lorsqu’est paru en poche son petit dernier, une fois n’est pas coutume, un polar, je me suis jeté dessus. Son style est froid et précis comme le scalpel d’un chirurgien pour une opération à coeur ouvert. Mais ce n’est pas exactement dans un bloc opératoire que l’on tranche ici à tort et à travers à coup de sabre japonais. Un régal.

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Fiction, tome 1

livre électronique

Depuis 1953, la revue Fiction publiait régulièrement les meilleurs textes de la revue américaine Fantasy & Science-Fiction ainsi qu’une selection de textes français et étrangers. Pour diverses raisons, la revue avait fait naufrage après son numéro 412, dernier opus publié en 1990, laissant un grand vide dans le paysage éditorial de la SF française. Il aura fallu attendre l’année 2004 pour qu’une petite maison d’édition française, Les moutons électriques (1) tente à nouveau l’aventure. Comme dans tout assemblage hétéroclite de textes, il y a du bon et du mauvais… petite selection.

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Le Clan des Otori, de Lian Hearn

Le Clan des Otori

Voilà une saga qui a bénéficié d’une politique éditoriale des plus floues. Publié en France chez Gallimard Jeunesse, il sera rangé par les libraires aux côtés de Harry Potter et des Orphelins Baudelaire. La critique du journal Le Monde, citée au dos, le recommande pourtant « aux adultes et aux adolescents ». Puis, surprise, la version poche sera publiée dans la collection Folio, réservée habituellement à la littérature « blanche » et aux oeuvres de S.F. honorables, comme 1984. Trop adulte pour Folio Junior, la trilogie de Lian Hearn aurait tout à fait eu sa place aux côtés de La voie du sabre de Thomas Day chez Folio SF. Alors, quoi ? Les voies de l’édition sont impénétrables.

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Les Braises, de Sandor Marai

Les Braises

Lorsque j’ai commencé à écrire ce blog, mon idée était de parler de S.F. A l’époque, je lisais à peu près quatre-vingt-dix pour cent de SF et je m’étais laissé la possibilité de parler des dix pour cent restants dans la rubrique Ouvertures. Depuis, j’ai commencé à travailler en librairie et mes lectures se sont considérement diversifiées. Souvent, j’aborde un livre un peu classique avec une certaine appréhension. Parfois, ma première impression est fausse, et je le dévore. Je crois qu’il n’y a qu’une seule chose de mieux qu’un bon livre : c’est un livre qu’on lit à reculons et dont on se rend compte à la lecture qu’il est extraordinaire.

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L’attentat, de Yasmina Khadra

L'attentat

L’attentat aborde le sujet délicat de la crise israélo-palestinienne par le biais de la tragédie personnelle. C’est donc à travers le regard d’Amine Jaafari, chirurgien israélien d’origine palestinienne dont la femme s’avère être une terroriste responsable d’un attentat à Tel Aviv que Khadra décortique le phénomène kamikaze. D’abord incrédule, Amine finit par accepter la vérité et, obsédé par son besoin de comprendre, décide de mener sa propre enquête en infiltrant le réseau terroriste.
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Neuromancien, de William Gibson

Neuromancien

Il semble qu’il existe un paradoxe singulier et propre au monde de la SF qui veuille que les auteurs de cyberpunk soient les plus baba-cools et proches-de-la-nature qui soient. Il y a deux mois, pendant les Utopiales, j’entendais ainsi Neal Stephenson, l’auteur de Snowcrash déclarer qu’il n’utilisait pour écrire ses histoires qu’une feuille de papier et un crayon. Les ordinateurs, il les connaît bien : il sait qu’on ne peut pas s’y fier. Et j’apprenais pas plus tard qu’hier par le Cafard Cosmique que le secret de William Gibson pour écrire était de ne jamais regarder face à la télévision. Voilà que ceux qui sont les plus proches de la technologie en sont aussi les plus méfiants. Etonnant, non ?

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